La continuité écologique…le mythe de la rivière naturelle ?


La continuité écologique… le mythe de la rivière naturelle ?

Source : European Scientist.

– Opinion –

De Christian Leveque04.04.2025

Des lobbies écologistes ont introduit lors du Grenelle de l’environnement le dogme de la continuité écologique des cours d’eau qui, d’après la loi, consiste à assurer la libre circulation des espèces et le transport des sédiments. Dans ce cadre le législateur a prévu que les ouvrages qui entravent les cours d’eau soient gérés, entretenus et équipés afin de remplir ces obligations. Cependant, telle qu’elle a été mise en œuvre en France, la continuité écologique a surtout consisté à supprimer, au grand dam de leurs propriétaires, les seuils des moulins et les petits barrages pluriséculaires présents dans nos cours d’eau qualifiés en l’occurrence « d’obstacles » à l’écoulement. Cette démarche a été mise en œuvre sans validation scientifique préalable et sans anticipation des conséquences possibles de telles mesures. Elle n’a pas fait non plus l’objet de concertations avec les riverains mis devant l’obligation de s’exécuter ou menacés de fortes amendes, ce qui a été à l’origine des rapports conflictuels assez vifs avec les agents de la police de l’eau.

Le Sénat qui s’était penché sur cette question il y a quelques années, a produit un rapport « Rompre avec la continuité écologique destructive : réconcilier préservation de l’environnement et activités humaines » (1) qui concluait à la nécessité de « mettre en œuvre une politique de gestion apaisée de la continuité écologique » qui « ne peut suffire à elle seule au rétablissement du bon état écologique des cours d’eau ». Mais les agences de l’eau continuent néanmoins de financer ces destructions. A quel titre ? Sont-elles au-dessus des lois ? 

INCOHÉRENCE OPÉRATIONNELLE ET DIVERSION

La mise en œuvre de cette politique relève pourtant d’une grande incohérence opérationnelle ? En effet, le rétablissement de la continuité s’est focalisé sur des seuils et obstacles de faible importance, et non sur les obstacles majeurs à la remonté que sont les grands barrages hydroélectriques ou ceux dédiés à la navigation. Ce sont pourtant ces structures qui, historiquement, ont été à l’origine du déclin des poissons migrateurs (2). Un grand barrage à l’aval d’un cours d’eau reste un obstacle à la migration vers de plus petits cours d’eau, malgré les aménagements dont il peut faire l’objet ? Mais il n’est pas question, on peut le comprendre, d’araser les barrages qui assurent la protection des villes contre les crues à l’exemple des barrages réservoirs de la Seine qui, en outre, participent au soutien d’étiage en été. Et que dire du barrage de Serre-Ponçon qui régule les crues catastrophiques de la Durance, contribue à l’irrigation de la Provence, et produit de l’électricité, tout en étant devenu un lieu touristique important pour l’économie de la région. Quant aux nombreux barrages sur le Rhône, de Lyon à la mer, ce sont des obstacles d’un autre ordre que les seuils des moulins.

Autrement dit on met en place des politiques de gestion, sans s’attaquer aux causes identifiées, mais en faisant diversion en traitant des petits seuils dont on n’a pas démontré le rôle majeur dans la raréfaction des migrateurs.

QUALITÉ DE L’EAU

Autre incohérence soulignée par de nombreux scientifiques, c’est le peu d’attention portée à la qualité de l’eau dans ce programme de restauration. Or c’est un facteur limitant de la présence des poissons, dont on sait qu’il est loin d’être résolu. Un cours d’eau « naturel » sur le plan écologique, c’est un élément d’un bassin fluvial qui est le réceptacle des eaux qui ruissellent sur ce bassin, lessivant et érodant les sols et les zones urbanisées. On connait par exemple les mortalités de poissons consécutives aux déversements des pluies d’orage ayant lessivé les sols urbains. Mais la qualité de l’eau c’est aussi la turbidité qui conditionne la qualité des frayères. On entreprend donc des opérations sur la morphologie du cours d’eau sans se préoccuper par ailleurs de savoir si la qualité de l’eau, parmi d’autres facteurs, est suffisante. Une démarche typiquement en silo qui interroge sur le sérieux d’un tel programme.  

UNE RESTAURATION « IDÉOLOGIQUE »

En réalité cette politique relève d’une représentation idéologique des cours d’eau qui mérite réflexion. Sur le plan sémantique, le terme restaurer est particulièrement fallacieux car il peut donner l’impression, à l’image d’un bâtiment, qu’il faut les rétablir dans son état initial. Ou du moins pense-t-on lui en donner l’apparence en retrouvant des rivières « sauvages », un label issu des ONG de conservation de la nature dont la seule définition est de n’avoir subi aucune atteinte morphologique majeure (barrages, rectifications, endiguement, altérations diverses). Evidemment le terme sauvage peut faire rêver des esprits romantiques, amoureux de la nature qu’ils fréquentent uniquement pour leurs loisirs ?  Pourtant, les cours d’eau peuvent également causer des dommages importants, comme l’ont démontré plusieurs événements récents. On peut dire, sans exagérer, que ce sont aussi des « armes de destruction massive » ! L’histoire garde de très nombreux souvenirs des rivières déchainées détruisant tout sur leur passage.

ZONES INONDABLES

Autre réalité, les rivières naturelles fonctionnent avec un lit majeur, celui qu’elles occupent en période de crue. Un lit que nous avons largement investi pour des activités agricoles et industrielles et dans lequel l’urbanisation s’est développée au fil du temps, sachant les risques encourus. Les épisodes de crues ne sont pas plus fréquents qu’autrefois quoiqu’on en dise, mais les dégâts sont plus importants dans la mesure où, en dépit des risques encourus, on a continué jusqu’à récemment de construire en zone inondable. Le terrain y était moins cher ! Bien évidemment ceux qui ont donné des autorisations ont tout intérêt maintenant à invoquer le changement climatique pour masquer leur responsabilité.

Mais la question est bien là : une rivière naturelle est une rivière qui peut se révéler dangereuse. C’est pourquoi, à tord ou à raison, nos ancêtres avaient aménagé les cours d’eau pour s’en protéger !

MOSAÏQUE DE DIFFÉRENTS MILIEUX

Un cours d’eau « naturel » sur le plan écologique, c’est en réalité une mosaïque de différents milieux (un écocomplexe), fait d’habitats diversifiés pour la flore et la faune (3,4). Les rivières dites naturelles ne sont pas de simples tuyaux d’évacuation des eaux. Elles sont en réalité parsemées d’obstacles tels des seuils rocheux, des embâcles (5), des éboulis, des barrages de castor, etc. qui créent des micro-habitats favorables à toute une faune aquatique qui ne vit pas en eau courante. La politique de gestion des cours d’eau qui consiste à « nettoyer les cours d’eau » pour supprimer tous les obstacles à l’écoulement est, en réalité, anti-écologique, puisque le rôle des embâcles est largement reconnu par les scientifiques dans le fonctionnement biologique des cours d’eau (6). C’est l’hétérogénéité des habitats qui crée la richesse biologique des cours d’eau.

En supprimant les obstacles, on supprime ainsi de nombreux habitats d’eau calme et leurs espèces associées dont certaines sont protégées. Ainsi on a passé sous silence la destruction d’une colonie importante de la mulette perlière lors de la destruction du barrage de Maison-Rouge sur la Vienne en 1998. Ce silence est surprenant de la part des écologistes, si prompts habituellement à dénoncer ce genre de dommage ! Mais il est vrai que de manière tout aussi surprenante il n’y a pas d’obligation d’inventaire préalable avant destruction dans les cours d’eau, alors que c’est une procédure obligatoire en milieu terrestre ? 

Les petits barrages ne créent pas seulement des retenues, ils alimentent des zones humides latérales dans lesquelles on va retrouver les batraciens qui ne font pas bon ménage avec les poissons et dont beaucoup d’espèces sont menacées. De manière générale, et contrairement à des idées reçues, les plans d’eau artificiels et les canaux ne sont pas des systèmes pauvres sur le plan biologique. Quelques rares études ont montré en effet qu’ils étaient tout aussi riches en espèces que les autres, et des écologues ont réhabilité ces « nouveaux écosystèmes »(7,8) en tant que systèmes fonctionnels.

CONSÉQUENCES SUR LA BIODIVERSITÉ

La destruction des seuils, des retenues et des zones humides qu’ils engendrent est d’autant plus problématique que le lit majeur du fleuve dans lequel on pouvait trouver des milieux humides favorables à cette faune palustre, est maintenant réduit à sa plus simple expression, après avoir été colonisé par l’agriculture et l’urbanisme. 

Sur le plan hydrologique, la suppression des ouvrages et de leurs retenues a pour résultat d’abaisser le niveau des nappes, d’accélérer l’écoulement, d’inciser le lit mineur de la rivière et d’assécher en définitive la rivière en période de pénurie d’eau (Potherat, 2021(9)). Si la sécheresse s’installe, la flore et la faune ne disposent plus de zones refuges pour faire face temporairement aux assecs et réensemencer le cours d’eau par la suite. Il en résulte une perte nette de biodiversité… C’est-à-dire l’inverse de ce qui est affiché comme objectif.

Mais plus généralement, restaurer des populations de poissons en faisant fi des diverses activités qui ont lieu sur son bassin versant est un non-sens. Car bien évidemment les activités agricoles et industrielles, ainsi que l’urbanisation ont des conséquences sur le ruissellement, l’érosion des sols et l’apport d’éléments en suspension, ainsi que sur la qualité chimique des eaux. Des facteurs clés dont dépend la vie aquatique. S’ils ne sont pas résolus, obstacles ou pas, la vie aquatique ne pourra pas s’améliorer. 

ET POUR QUEL RÉSULTAT ? 

Après plus de dix ans de mise en œuvre de cette politique de destruction, quel en est le résultat ? On peut dire sans exagérer que la situation des migrateurs n’a jamais été aussi catastrophique. Sans entrer ici dans le détail, les populations de grande Alose sont dans un état critique dans la plupart des bassins versants et la même tendance est observée pour la lamproie marine. Quant aux populations de saumon, de nombreuses observations font état qu’elles connaissent ces dernières années un déclin quasi général (10,11). On se perd en conjectures sur les causes des effondrements des populations de migrateurs, qui sont observées au niveau mondial. Qualité des eaux ? Pêche en mer lors de la phase marine ? Braconnage ? Mais ce qui est certain, c’est que la politique de destruction des seuils n’a rien arrangé, donnant ainsi raison à ceux qui doutaient du sérieux de cette opération, mais dont la parole avait peu de poids par rapport aux idéologues de la conservation de la nature. Bien entendu on se garde bien de médiatiser cet échec… !

L’activisme des agences de l’eau pour financer la destruction de seuils, a couté cher aux citoyens qui paient des taxes sur l’eau. Ils voient leur argent mis au service de mesures dispendieuses, inutiles, voire dangereuses pour l’avenir de nos rivières, alors que la réfection du réseau de distribution des eaux devenu en certains endroits une passoire, est une mesure d’urgence.                                                                         

(1) https://www.senat.fr/rap/r20-498/r20-498_mono.html

(2) Bravard JP & Lévêque C. (eds), 2020. La gestion écologique des rivières françaises. Regards de scientifiques sur une controverse. L’Harmattan

(3) Amoros C. & Petts G.E. (eds), 1993. Hydrosystèmes fluviaux. Masson

(4) Lévêque C., 2021.  Quelles rivières pour demain ? Réflexions sur l’écologie et la restauration des cours d’eau. Quae

(5) L. Maridet, H. Piégay, O. Gilard C et A. Thévenet. 1996. L’embâcle de bois en rivière : un bienfait écologique? un facteur de risques naturels ? La houille blanche.

(6) Quiniou M., Piton G., 2022. Embâcles: concilier gestion des risques et qualité des milieux. Guide de diagnostic et de recommandations. [Rapport de recherche] ISL Ingénierie; INRAE., pp.135. ⟨hal-03621373⟩

(7) Mooij WM et al., 2019. Modeling water quality in the Anthropocene: directions for the next-generation aquatic ecosystem models, Current Opinion in Environmental Sustainability, 36, 85–95

(8) Donati F., Touchart L., Bartout P., Choffel Q., 2020. « Anciens et nouveaux écosystèmes aquatiques : une revue sur leur fonctionnement abiotique », Dynamiques environnementales, 45 : 11-21.

 (9) Potherat P., 2021. Si les truites pouvaient parler. L’histoire récente des rivières du Plateau de Langres en général et du Châtillonnais en particulier. Les cas de la Seine et de l’Ource, 153 pages

(10) https://www.observatoire-poissons-migrateurs-bretagne.fr/indicateurs-d-etat-de-pressions-et-de-reponse-des-populations-de-saumons-en-bretagne/etat-de-la-population-saumon/indices-dabondance-saumons-en-bretagne

(11),https://www.logrami.fr/actions/stations-comptage/


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.